Le 1er décembre 1990, un témoin « in extremis »

Le 1er décembre 1990 , Robert Houbion: « J’ai failli vivre la jonction historique à bord d’un ferry …. »

Le témoignage de Robert HOUBION, à l’occasion du trentenaire de la Jonction, le 1er décembre 2020.

Ce jour-là j’étais désigné par ma direction à TMC pour rencontrer John NOULTON l’organisateur de cet évènement des deux côtés de la Manche et John HAMLEN, son adjoint pour la circonstance, responsable communication de TransLink (TL), le 1er décembre 1990 à 12 heures 12 au point de jonction du tunnel de service. Cet horaire très précis était dicté par TF1 qui avait l’exclusivité de la diffusion en direct de cet évènement planétaire.

En qualité de responsable communication pour TransManche Construction (TMC), j’ai participé aux réunions de préparation, réunissant les services communication de TMC et TransLink (TL côté Britannique) pour définir le déroulement de la cérémonie de jonction du 1er décembre 1999, financée par les 10 entreprises constituant les GIE des deux côtés de la Manche.

Les équipes avaient œuvré durant un mois pour dévier sous la Manche le tunnelier britannique et permettre au tunnelier français de terminer le forage en laissant quelques dizaines de centimètres de craie bleue face aux anglais.

Dans toute organisation réglée comme du papier musique, s’intercale toujours « le grain de sable », ce fut pour moi !

J’avais minutieusement organisé mon déplacement tenant compte d’une marge pour d’éventuels aléas. Une réservation tôt le matin sur un ferry de la compagnie P&O, pour me mettre dans l’ambiance britannique. A l’heure du départ rien ne se passe ! « Prise d’otage ? », « Coup de TRAFALGAR ? » Au bout d’un temps semblant interminable, le commandant annonça « un incident technique sur un vérin de la passerelle d’embarquement des véhicules ». Au bout d’une heure 20 on vit les quais s’éloigner. Dans l’intervalle deux ferries ont quitté leurs quais. Ma réserve de temps pour les aléas était bien dépassée.

Tout se passa ensuite à merveille après mon arrivée à Douvres au pas de course pour récupérer le temps perdu, revêtir la tenue règlementaire, ranger les effets civils dans un bagage qui devait rejoindre la France, passer symboliquement par le bureau de contrôle immigration mis en place à compter de ce jour, descendre du haut des WHITE CLIFFS et embarquer dans la draisine qui m’attendait et dans laquelle était installé un hôte arrivé en retard via Heathrow, Karel VAN MIERT, ministre européen des Transports.

Au bout de 40 minutes de trajet et 22,2 kilomètres parcourus nous avons atteint le point de jonction, où les équipes du Tunnel de service, les « TIGERS », rassemblées se sont retournées pour voir qui arrivait dans le bruit de moteur diesel de la draisine après tout le monde, en place depuis une heure. A ma descente, une salve d’applaudissements saluait le « frenchie ».

Il était 12 heures et le stress a disparu instantanément. Un grand écran affichait le côté français. Michel CHEVALLET en direct sur TF1 égrena à 12 h 12 le décompte des secondes, Graham FAGG marteau piqueur à la main, descendit la moitié de la couche de craie face à Philippe COZETTE côté France.

Ils ouvraient ainsi la voie terrestre à 40 mètres sous le fond de la mer, sous une clameur de hourras et une salve d’applaudissements. Vingt et une personnes émergèrent du côté britannique, je fermais la marche, dans le camp français échangeant une poignée de main avec mon alter ego, dans l’autre main on nous avait glissé une coupe de champagne. On vit en premier Pierre MATHERON directeur de TMC faire l’accolade à Peter ALLWOOD directeur de TL, Philippe ESSIG président de TML et Jack LEMLEY, etc… Je fus le dernier !

L’Hymne des Bâtisseurs composé pour l’inauguration du tunnel en 1994 aurait déjà pu être entonné ce jour-là :

« C’est le chant des hommes
Qui ont creusé la terre
Tracé des routes au fond des mers
Tous les bâtisseurs
De France et de l’Angleterre
Ensemble ont franchi la barrière
Le monde attendait
Depuis tant et tant d’années
Ce rêve aujourd’hui devenu réalité
Sous la mer, un chemin
Pour se tendre la main
Under the blue
A dream come true
Chemin de fer sous terre
Chemin d’espoir »

Il restait 16,6 kilomètres à parcourir en draisine vers la Tranchée de BEUSSINGUE, sortie du tunnel 1 h 15 plus tard où attendaient de nombreux invités français locaux et régionaux et la presse pour échanger les premières impressions. Tous accueillis par Claude de LA ROCHE SAINT ANDRE Directeur des Ressources Humaines, qui ont tous assisté en direct à la retransmission sur écran géant et partagé un buffet géant.

A 17 heures, nous avons quitté nos tenues de chantier pour revêtir nos tenues civiles arrivées par voiture en ferry et nous avons rejoint l’aérodrome de CALAIS-MARCK pour embarquer à bord d’un bimoteur de 55 passagers affrété pour rejoindre le Château de DOUVRES où se déroula la cérémonie marquant le terme de cette journée inoubliable tant elle fut Historique.

Le retour dans la nuit « en ferry » se déroula sans problèmes ! Pour moi, c’est unique, j’ai le même jour effectué deux aller-retours par 3 moyens pour la première fois : maritime, terrestre et aérien.

J’ai vécu cette journée sur un petit nuage par 40 mètres de fond sous la mer. Journée inoubliable et le plus beau moment de 40 ans de carrière professionnelle.

Il y a 30 ans aujourd’hui et on pense toujours à ce chantier du siècle (dernier) ce défi rêvé depuis plus de 2 siècles, aux moyens qu’on s’est donnés, aux hommes qui l’ont construit dans les conditions de sécurité exemplaires. Une référence pour le futur.

Mais on pense aussi à cette fraternité franco-britannique qui a rapproché l’Angleterre du continent et qui aujourd’hui va vivre le BREXIT.

Mais surtout je pense aujourd’hui aux deux « John » mes amis et tous les autres qui nous ont quittés ces trente dernières années.

Robert HOUBION

Détaché par SPIE BATIGNOLLES sur le projet du tunnel sous la Manche

1986 : Affecté aux Travaux préliminaires à Sangatte – responsable administratif

1987 : Responsable logistique au sein des services administratifs

1989 : Adjoint au DRH – responsable de la communication

1991 : Directeur du Centre d’Information d’Eurotunnel

1993 : Directeur adjoint de Cité Europe à Coquelles (jusqu’en 1998)

Réside actuellement dans le Limousin et a gardé un lieu et lien d’attache à Calais.

2 réflexions sur « Le 1er décembre 1990, un témoin « in extremis » »

  1. J’ai rejoint en ce qui me concerne le château de Douvres dans le même bimoteur avec Pierre CRESPEL pour rejoindre la fête d’inspiration médiévale organisée par nos amis britanniques avec des cadres du chantier, des VIP et Graham FAGG qui était placé à côté du maire de Coquelles.
    – Départ de l’aéroport de Calais Marck en fin d’après-midi.
    – Arrivée à LYDD Airport, voyage en car jusqu’au pied du château de Douvres et transfert par mini car jusqu’à la cour du château.
    Retour dans la nuit dans le même bateau.

    Michel NIEMANN
    Directeur général des services de la mairie de Coquelles, j’ai côtoyé le projet précédent de la SITUMER (1973-1975) et été le témoin actif des travaux du terminal de Coquelles et du développement de son territoire (Cité de l’Europe et autres développements économiques).
    Après la remise des clés du 10 décembre 1993, j’ai assisté aux premières années de fonctionnement d’Eurotunnel jusqu’en 2005, année de mon départ en retraite .
    J’ai été désigné en qualité de membre d’honneur de l’Amicale et remplacé le regretté François Borel à son départ de la région en qualité de membre du bureau.
    La quasi totalité de ma vie professionnelle a été placée sous le signe du « Rêve devenu Réalité » puisque les documents d’urbanisme de la commune étaient dans l’obligation d’accueillir depuis le début des années 1970 une ZAD (Zone d’Aménagement différé) sur 70% du territoire communal)

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